La jeune femme s'était lamentablement étalée sur le sol à nos pieds. Plutôt pitoyable, elle devait vraiment avoir eu peur.



- Je suis désolé. J'ai cru entendre quelque chose alors que j'étais seule et ... Et j'ai pris peur ... Je suis désolé ...



Nous avions effectivement remarqué qu'elle avait prit peur, ce n'était pas une nouvelle surprenante. La question était plutôt : pourquoi ? Certes un bruit, mais pourquoi un bruit l'affolait-elle tant ? Elle semblait si nerveuse que nous avions presque pitié d'elle. Si l'on peut avoir pitié d'une femme constamment protégée par un chien à trois têtes dont elle ne peut se passer. Comme tu ne peux pas te passer de moi cher Alejandro... Nous verrons bien ça quand tu seras passée à la casserole. La pie claqua avec mécontentement du bec dans notre oreille.



- Non je n'ai pas peur du nain que vous êtes monsieur.



Cela l'amusait cette chère petite. Tsss tsss tsss... Mais nous avions l'habitude du mépris déguisé des gens, nous avions l'habitude de déclencher des rires et des moqueries. Elle a un joli collier dis-moi. Elle avait dû sentir le lourd regard de Fugae car elle passa sa main sur ladite parure. Quelle réputation dis-donc... Puis le sol trembla et nous sentîmes derrière nous un souffle puissant et rauque. Sans jeter un regard au cerbère nous avançâmes parmi les rayonnages, effleurant du doigt la tranche des livres. Nous en piochâmes un, Critique de la Raison Pure. Magnifique ouvrage de Kant. Nous l'ouvrîmes à la première page et à voix haute :



- Pour résumer Mademoiselle : il y a deux catégories d'idées. Les connaissances à priori fondées sur les savoirs acquis grâce aux autres, et les connaissances à posteriori acquises sur l'expérience.



Nous refermâmes le livre pour le remettre à sa place et enfin toisâmes l'immense chien qui était penché sur Emily. Nous nous souvenions du nom qu'elle avait donné en se présentant à Abbey dans les cuisines. Il allait sans dire que l'animal n'avait strictement rien à faire ici. Nous reprîmes :



- Mes connaissances à posteriori me hurlent que la présence d'un chien - principalement de cette taille - dans une bibliothèque a des conséquences désastreuses pour les livres.



Et ce sans sourciller. Le monstre ne nous faisait pas peur. Ce qui n'était pas le cas de Fugae. N'est-ce pas ? Elle était vexée, horriblement vexée, mais également terrorisée par le cerbère. Pauuuvre petite...

▬ Je suis confuse, je ne voulais pas vous offenser. J'ai eu un petit problème et il est venu me secourir.



Nous pouvions comprendre ça. Tu ne serais pas venu nous secourir toi hein ? Tu m'as bien vu ? Oiseau de malheur... Nous avions comme à nôtre habitude déclamé ce dialogue à voix haute, autant notre part que celle de Fugae. La petite pouvait bien trouver cela bizarre si elle voulait, nous n'en avions cure. Nous avions l'habitude du regard des gens. Et du jugement des gens. Non loin, l'énorme cerbère semblait plutôt mécontent. Il s'agitait, grognait et nous fixait du regard.Mais contrairement à la pie - qui avait décidé de se percher sur une des plus hautes étagères, hors de portée des puissantes mâchoires - nous n'avions nullement peur de cette bête. L'inconnue fit un nouveau sourire. Peut-être qu'elle ne se moquait pas finalement, elle avait l'air de sourire tout le temps. Alors nous nous laissâmes attendrir et nous sourîmes. Mais pas sincèrement.



▬ Je suis ... Je m'appelle Emily.





▬ Très joli prénom.



Ce n'était ni totalement faux ni totalement vrai mais tout gentleman devait cette réponse à une demoiselle. Emily était effectivement un prénom à la sonorité plutôt agréable mais nous préférions les prénoms plus... originaux. Joli coeur. Nous éclatâmes de rire. Pour être un joli coeur nous devrions être beau Fugae. Tu ne sembles pas connaître la politesse... Ces phrases nous ne les avions pas dites à voix haute par contre. Mieux valait que certaines conversations restent privées. Mais puisqu'elle nous avait fait part de son nom, la bienséance voulait que nous lui fassions part du nôtre.



▬ Nous somme Sébastien. Sébastien Alejandro Brett. Et cette pie que vous apercevez là et qui sera bientôt en civet, c'est Fugae. Nous nous tournâmes vers elle. Viens là ma précieuse.



Jamais. Oh allons... Finalement, bon gré mal gré, l'oiseau réticent revint se poser sur notre épaule en se dandinant d'une patte sur l'autre, tiraillée entre sa peur du chien et sa convoitise envers le collier d'Emily. Claquant du bec à notre oreille, piaillant, elle était on ne peut plus nerveuse. Nous la caressâmes doucement pour la calmer et décidâmes de régler le qui pro quo.



▬ Elle aime énormément votre. Et elle a très peur de votre cerbère.



Faux frère. Je n'aime pas mentir. Menteur. Elle persiflait comme à son habitude et tandis que nous parlions, un sourire qui cette fois était vrai éclairait peu à peu notre visage.

[ Désolé du retard !! ]

Le nain du nom de Sébastien, semblait s'attendrir, enfin du moins il n'était plus aussi glacial qu'auparavant. Emily garda son petit sourire aux lèvres, et par politesse elle répondit naturellement:

- Enchantée du vous connaître

Bien que leur rencontre n'est pas été des plus joyeuse au début, Emily était optimiste pour la suite des évènements. Il est vrai qu'elle était un peu troublée par les dialogues à voix hautes du petit homme qui devait s'adresser à la pie. Cependant, la jeune brunette comprenait, effectivement il lui arrivait à elle aussi de parler avec son chien, et s'en le faire exprès, dire des paroles à voix hautes. Sébastien semblait s'en contre fiche, de savoir si Emily trouvait cela étrange ou pas, et elle en était heureuse car elle aussi se fichait pas mal de ce que pensait les gens. Sébastien lui expliqua alors le comportement nerveux de sa pie affolée, hésitante entre son collier et son cerbère. Emily laissa s'échapper un petit rire amusé, qui ne se voulait nul point méchant. La jeune fille regarda Adès qui semblait lui aussi s'être calmé, bien qu'il gardait ce regard froid et distant.

- En civet ? La pauvre.

Elle rigola encore un peu, rire étouffé par sa main, pendant qu'elle regardait la pie de ses yeux joyeux:

- Adès ne lui fera pas de mal « Je l'espère ...», par contre pour le collier ...

Et elle posa sa main sur celui-i, comme un geste protecteur. Elle se souvenait que sa mère avait bataillé avec une autre pour l'obtenir et finalement au bout d'un an, le lui avait donné. Elle détestait ces manières d'acheter les choses pour les porter un an et ne plus les vouloir ensuite parce que "trop usés". Pire, sa mère avait une fois acheté une veste sur laquelle elle avait soi-disant "flashé" pour finalement ne jamais l'avoir mise et jeté à la poubelle, alors qu'Emily lui avait plusieurs proposé de lui donner, sans succès. « C'est vraiment pas grave » Non c'est vrai ce n'est pas grave se disait Emily, mais c'est le principe qui était décevant. Elle se reconcentra sur le petit homme. Il semblait plus vieux qu'elle et même plus vieux que la plupart des personnes qu'elle a rencontré. C'est alors par curiosité qu'elle continua le dialogue :

- Vous êtes nouveau ?

Enchantée de nous connaître ? Décidément la politesse fait dire des choses bien stupides. Nous ne laissâmes rien paraître mais nous n'en pensions pas moins... Quelles énormités tout de même. Mais cette petite avait au moins une notion de bienséance. Pas comme une certaine pie. La ferme nain ! Nous l'ignorâmes.

- En civet ? La pauvre.

Ah, tu vois... Il y a ici des gens qui ne sont pas dénués de compassion... Nous sommes étonné qu'une langue de vipère comme toi puisse confondre compassion et pitié. Ne trouvant aucune réplique, la pie se plongea dans un mutisme vexé.

- Adès ne lui fera pas de mal « Je l'espère ...», par contre pour le collier ...

" Je l'espère "... Oh, ça ne rassura pas du tout Fugae qui se dandina avec encore plus de gêne que de coutume. Si même Emily ne pouvait pas être garante du comportement du cerbère... Elle était dans la merde. Fugae s'entend, pas la jeune femme. Car de toute façon les âmes soeurs ne se blessent pas n'est-ce pas ? Fais gaffe Woody Woodpecker, tu vas finir en brochette à toutou... Je ne serai qu'un amuse-gueule avant le plat principal : Gimli à la broche. Gimli fils de Gloïn est bien plus respectable que Woody Woodpecker ma chère, ta critique ne m'atteint pas. Décidément en ce jour elle avait un niveau de 'clash' plutôt pitoyable. nous reportâmes notre attention sur la jeune femme qui avait posé une main sur sa gorge à l'évocation du collier. Elle avait l'air d'y tenir beaucoup mais cela ne faisait qu'attiser la convoitise de l'oiseau pour qui cela représentait un nouveau défi. Nul doute que le bijou allait devenir sa nouvelle obsession et qu'elle n'aurait de repos que lorsqu'elle aurait enfin mis le bec dessus. Ceci dit nous devions bien admettre qu'il était magnifique, un chef-d'oeuvre d'orfèvrerie. Puis, ne voulant visiblement pas laisser la conversation se terminer ici, la blonde posa une question :

- Vous êtes nouveau ?

Fugae s'étouffa d'un rire qui ressemblait à celui d'un corbeau et nous ne pûmes réprimer un sourire moqueur. Nouveau ? Non. Pas du tout. Vraiment pas du tout. Combien d'années avions-nous parcouru ces couloirs ? Combien de repas, banquets, collations avions-nous préparés ? Un très grand nombre pour sûr.

- Non pas du tout. Nous ne savons même pas depuis combien d'années nous sommes ici.

Il fallait bien cependant faire une tentative de socialisation.

- A votre air perdu et niais je suppose que vous êtes nouvelle ?

Nous avions toujours préféré la franchise à l'hypocrisie, pour le meilleur et surtout pour le pire.

Spoiler: