Cela faisait quelques heures déjà que Jona Lune avait renoncé à regarder défiler ces paysages anglais qu'elle connaissait maintenant par coeur derrière la vitre poussiéreuse du véhicule, lorsque le vieux tacot ralentit. Elle arqua un sourcil, d'abord étonnée par ce soudain changement de rythme ; puis colla son nez à la solide couche de verre. Une immense bâtisse du dix-neuvième siècle s'élevait entre des arbres tous au moins aussi vieux. * C'est donc ça, le domaine Brockhurst... * La vieille automobile se gara devant l'imposant portail de la propriété. La jeune femme remercia son chauffeur d'un discret signe de la main, puis sortit. Elle chancela quelque peu : les tremblements la reprennaient, et aucun de ses membres encore endoloris par ceux de la veille n'était épargné.
Elle s'aventura sur la pelouse verdoyante de la propriété sans même chercher à en obtenir l'autorisation au préalable. Le temps jouait contre elle. Quelques mètres seulement la séparaient dorénavant de sa nouvelle vie loin de son île natale, l'Islande. Chacun de ses pas se fit plus incertain que le précédent. Elle se hâta. C'est une main droite hésitante qu'elle déposa sur la poignée dorée de l'imposante porte d'entrée en acajou qu'elle venait d'atteindre. Et lorsqu'elle entra enfin dans le bâtiment, son corps tout entier se tordit dans un ultime spasme de douleur. Elle laissa échapper un chétif et pleutre " Vinsamlegast, hjálpa mér... " (littéralement, " S'il vous plaît, aidez-moi... ") d'entre ses lèvres, avant d'assister -impuissante- à une nouvelle transformation de sa minable petite personne.

Spoiler:

Cela faisait maintenant presque deux heures que Konstantin était assis – ou plutôt avachi – sur l'un des canapés en cuir qui meublaient le hall d'entrée du château. En rentrant de sa promenade-chien-et-clope, il avait décidé que son niveau actuel de flemme était trop élevé pour monter les escaliers, trop nombreux à son goût, jusqu'à sa chambre, et était donc venu s'échouer dans le hall d'entrée, sous le regard curieux de la réceptionniste qui l'épiait en silence, cachée derrière son magasine people. Elle croyait vraiment qu'il ne l'avait pas remarquée ?... Pitoyable. Cette pensée lui arracha un sourire amusé, tandis qu'il tournait avec intérêt les pages du roman qu'il avait apporté. Combien de livres avait-il fini depuis qu'il était arrivé ? Au moins une bonne trentaine. Il était incapable de vivre sans un bon bouquin à lire, et fort heureusement pour lui, la bibliothèque du château était plus que bien fournie.
Soudain, un bruit de pas qui provenait vraisemblablement du dehors lui fit lever les yeux et tendre l'oreille. Oh, un nouvel arrivant ?... Il allait peut-être enfin avoir un peu de pain sur la planche et faire avancer cette satané enquête qui piétinait depuis des mois, ce ne serait pas du luxe. New York lui manquait tellement... Il se retourna à l'instant où la grande porte du hall s'ouvrit et laissa apparaître une frêle jeune femme à la tignasse bouclée d'un roux flamboyant. Il fut tout d'abord un peu surpris par son apparence... pour le moins originale, mais n'eut pas le temps de s'en formaliser, un autre détail vint le frapper immédiatement. Elle tremblait. Au moins autant qu'une petite vieille atteinte de Parkinson. Elle fut alors traversée par un spasme et se tordit de douleur. Il n'en fallut pas plus à Konstantin pour laisser tomber son bouquin et se précipiter vers elle. Non pas parce qu'il s'inquiétait pour elle – après tout il ne la connaissait même pas – mais parce qu'en y réfléchissant bien, qui dit nouvel arrivant au château dit nouvelle possibilité de lui soutirer des informations, et dans la logique des choses, plus Konstantin se montrerai gentil avec elle, plus il avait de chance d'entrer dans ses bonnes grâces... A moins qu'il ne soit encore tombé sur une furie asociale, il semblerait que Brockhurst en compte un certain nombre entre ses murs... un peu trop à son goût, malheureusement.
Il n'eut même pas le temps de placer un seul mot que la jeune inconnue se... métamorphosa en loutre. Le vieux détective ne put retenir un petit Ooooh attendri à la vue de l'animal … C'est vrai quoi, c'est mignon une loutre.
D'un geste de la main, il envoya la réceptionniste voir ailleurs s'il y était, prit le petit mammifère dans ses bras, et alla le déposer sur le canapé où il était assis quelques minutes plus tôt. Elle avait l'air un peu sonnée par sa transformation... Était-ce à cause de ça qu'elle avait l'air si mal en arrivant ? Konstantin ne s'était jamais posé la question de savoir si les transformations étaient douloureuses, ou même si elles pouvaient s'avérer dangereuses... C'était l'occasion de le découvrir.



▬ Ei, Schatzi, was ist denn los ?


Murmura-t-il en se penchant vers la loutre.

▬ Ei, Schatzi, was ist denn los ?

Le petit mammifère s'était confortablement installé sur un des coussins du canapé en cuir et penchait à présent la tête sur le côté, perplexe. * De l'allemand ? * Son chauffeur ne lui avait donc bel et bien pas mentit lorsqu'il lui avait affirmé un peu plus tôt dans la matinée que le domaine de Brockhurst accueillait des « cas » venus d'ici et d'ailleurs. Des cas. C'est donc sous cette appellation que le monde entier connaissait les individus évoluant entre les quatre murs de Brockhurst. Charmant !
L'étrange personnage [ Ouais, c'est moi qui dit ça 8D ] approcha une main sûre d'elle du museau poilu de Jona Lune Annasdóttir. Stupide idée qu'il regretta amèrement lorsque la mâchoire du petit animal se referma sur son index. Ce seul geste ne suffit pourtant pas à le faire réagir. Son expression restait impassible, il attendait. La loutre prit soudainement conscience de son geste ; elle écarquilla les yeux, lâcha prise et courut se réfugier à l'autre bout de la banquette froide. Elle tremblait.
Une étrange sensation tira le petit animal de sa soudaine léthargie ; bientôt la transformation inverse aurait lieu, et la rousse se retrouverait alors complètement nue dans ce grand hall. Il n'y avait pas un instant à perdre : la loutre bondit en direction de sa robe, l'attrapa dans sa gueule et s'enfuit à la recherche d'un coin à l'abri des regards indiscrets.


* Cette salle d'eau devrait faire l'affaire... *

Décidément, ça ne réussissait pas vraiment à Konstantin, de se montrer gentil. Il eut tout le loisir de s'en rendre compte lorsque la loutre vint lui planter ses petites dents pointues dans le doigt. Verdammt, encore une harpie sauvage ?! Bien qu'il fut surpris, il ne broncha cependant pas. D'une part parce que grâce à son cheeeer ami Vladimir il était couvert d'ecchymoses et s'en était pris tellement plein la poire la veille qu'une blessure de plus ou de moins, il ne faisait plus la différence ; mais aussi parce que s'il commençait à insulter en allemand les nouveaux résidents du château dès leur arrivée, il n'allait pas pouvoir en tirer grand chose. L'enquête avant tout, comme dirait son ancien patron.
C'est donc d'un air perplexe qu'il regarda la petite loutre se jeter du canapé en tremblant, attraper au passage sa robe qui était restée par terre, et courir vers ce qui semblait être des toilettes. Le détective haussa un sourcil d'un air interrogateur. Soit il n'avait rien compris à ce qu'il se passait, soit... elle avait le même problème que Vladimir, dont les vêtements avaient la fâcheuse habitude de ne pas supporter ses transformations, lui occasionnant de finir entièrement nu assez souvent – ce qui, entre nous, ne dérangeait absolument pas Konstantin...
Il vint donc s'adosser contre le mur, près de la porte derrière laquelle avait disparu la loutre en furie. Ce n'était pas une petite morsure de rien du tout qui allait lui faire lâcher l'affaire, même s'il se retrouvait maintenant avec un doigt qui pisse le sang. Il soupira, avant de sortir de la poche de sa veste son paquet de black devil et son briquet. Deux heures sans fûmer était bien le maximum qu'il pouvait tenir sans devenir fou. Il en alluma une et tira une longue bouffée. Le goût du tabac mélangé à celui du chocolat se répandit dans sa gorge et ses poumons et lui arracha un sourire de satisfaction.

Des bruits de pas retentirent dans le couloir. Jona Lune se dépêcha d'enfiler son encombrante robe de velours. Pourquoi diable y avait-elle rajouter autant de jupons ? Elle noua un ultime ruban au creux de ses reins, puis se redressa. L'image que lui renvoya alors le petit miroir de la pièce d'eau la fit reculer d'un pas. Sa tenue était en lambeaux, et ses chairs lacérées de part et d'autre de ses avants-bras ; à croire que son équivalant animal était aussi adroit de ses quatre pattes qu'elle de ses deux pieds. Elle soupira, puis se mit en tête de nettoyer ses blessures à l'eau claire avant de tenter une sortie. Dans quelques instants à peine elle allait faire face à cet homme qu'elle avait agressé sans ménagement dans le hall, et elle devrait lui faire des excuses.
Jona Lune ne pouvait repousser éternellement le moment fatidique de leur rencontre : il était maintenant temps de sortir de sa cachette et de faire face à l'allemand. La Kaaëwyn inspira profondément, puis déverrouilla la porte. Il était adossé au mur adjacent à la petite ouverture, clope au bec et regard perdu dans le vide. La seule vue de la jeune fille à la chevelure rousse suffit à le rammener parmis les vivants, et à faire taire le léger rictus jusqu'alors suspendu à ses lèvres. Elle baissa les yeux et, tout en entortillant une de ses nombreuses boucles autour de son index, dit timidement :

En anglais.

▬ Je n'ai jamais voulu vous faire de mal. Je... fyrirgefðu herra.

Après quelques minutes de silence total, un bruit de verrou que l'on tire vint extirper l'allemand de sa rêverie. Il tourna la tête et dévisagea la jeune femme qui s'était enfin décidée à sortir. Elle entortillait nerveusement une mèche de ses cheveux roux autour de son doigt, et fixait la pointe de ses chaussures avec gêne. Timide ? Cela fit sourire Konstantin. Pour une raison qui lui était inconnue, il préférait largement avoir affaire à ce genre de personnes. Devoir les découvrir, les deviner, les amadouer, pour réussir à leur soutirer des informations. C'était beaucoup plus drôle que celles où il suffit de deux verres de whisky pour leur faire avouer n'importe quoi. C'était plus compliqué aussi, certes, mais après tout cela faisait partie du jeu... Et c'était sans doute là ce qui lui plaisait tant dans ses enquêtes.


▬ Je n'ai jamais voulu vous faire de mal. Je... fyrirgefðu herra.

▬ Je sais, ce n'est pas grave.

Répondit-il avec un sourire aimable, un peu amusé aussi. Bien qu'il n'ait pas compris un traître mot de la fin de sa phrase, il se doutait qu'elle devait certainement s'excuser de l'avoir mordu lorsqu'elle était transformée. Du moins, c'était ce que n'importe quelle personne censée ferait. Mais... Quelle langue cela pouvait-il être ? De toute évidence, pas une de celles qu'il parlait. C'était bien la peine d'être quadrilingue... Cependant, de par sa sonorité, il devinait qu'il s'agissait là d'une langue scandinave. S'il devait parier, il choisirait l'Islandais. A vérifier... Elle finirait bien par le lui dire.
Son regard s'attarda sur la tenue de son interlocutrice, qui laissait apparaître plusieurs déchirures. Et ses bras... Ils étaient couverts de plaies. Il fronça les sourcils. Non pas qu'il ne supporte pas la vue de ce genre de choses, mais disons que les coupures à cet endroit lui rappelaient... des souvenirs qu'il aurait préféré pouvoir oublier à tout jamais.


▬ Eh bien, ça ne vous a pas réussi, on dirait...

Murmura-t-il en relâchant un nuage de fumée chocolatée. Oh Gott, ce qu'il pouvait aimer ces cigarettes...

▬ Je sais, ce n'est pas grave.

Ces quelques mots suffirent à rassurer la jeune scandinave qui affichait à présent un sourire radieux. Qui pouvait donc bien être cet homme ? D'une élégance rare, le moindre de ses traits semblait avoir été pensé dans l'unique but d'inspirer le respect et la confiance. Un sourire est le tour était joué. Alors pourquoi Jona Lune ressentait-elle ce soupçon de crainte lorsqu'elle posait ses yeux sur lui ? Elle secoua vigoureusement la tête, comme pour éloigner cette idée de son jeune esprit. Il était hors de question de céder à la paranoïa !

▬ Eh bien, ça ne vous a pas réussi, on dirait...

Avait-il murmuré. La rousse releva brusquement la tête. La vision des membres lacérés de la jeune femme avait, semble-t-il, suffit à rappeler quelques douloureuses erreurs du passé au bon souvenir de l'Allemand. Mal à l'aise, Jona Lune essaya de camoufler ses avant-bras entre les divers plis de sa jupe. Il sourit ; cette attention l'avait apparemment touchée. Et si ce n'était pas le cas, elle aurait au moins réussi à lui faire oublier ses maux l'espace d'un court instant. Guð qu'il était beau lorsqu'il souriait. Elle sourit pour elle même.
La jolie rousse commença à déambuler dans le labyrinthe de couloirs du château. Il la suivit sans dire un mot. Ce petit jeu dura quelques minutes, avant qu'elle ne prenne la parole.

▬ Je m'appelle Jona Lune Annasdóttir.

Elle marqua une pause.

▬ Je suis islandaise.

Silence.

▬ Et vous ?

▬ Je m'appelle Jona Lune Annasdóttir.

Dit la jeune femme, tout en dissimulant ses bras dans les innombrables plis et jupons qui composaient sa tenue pour le moins atypique. Elle se mit alors à marcher au hasard des couloirs, regardant autour d'elle avec curiosité. Konstantin alla ramasser son livre, qu'il avait laissé sur le canapé, et la suivit. Il n'avait pas la moindre idée d'où elle se dirigeait comme ça, mais sans lui elle allait certainement se perdre, vu qu'elle ne connaissait pas encore le château. Et puis... Il devait bien reconnaître qu'elle l'intriguait. Elle semblait... différente. Quelque chose lui disait qu'il y avait de fortes chances qu'il puisse en tirer quelque chose pour son enquête. Ce n'était pas le moment de la lâcher.


▬ Je suis islandaise. Lança-t-elle soudain. Et vous ?

▬ Moi c'est Konstantin. Et je suis allemand. Il parait que ça se voit...

Répondit-il avec un sourire amusé. Bon, au moins il n'avait pas eu à chercher bien longtemps. Et il pouvait constater avec satisfaction qu'il avait vu juste quant à ses origines. That's a bingo.
N'ayant pas particulièrement envie de déambuler ainsi pendant des heures, l'allemand entraîna son interlocutrice vers le living-room qui se trouvait non loin. Son premier réflexe fut de se diriger vers le piano à queue qui trônait sur une petite estrade, juste devant la baie vitrée qui donnait sur le parc. Une chose était sûre, quand son enquête serait terminée et qu'il devrait quitter Brockhurst et rentrer chez lui, il regretterait beaucoup ce magnifique instrument. Il fit lentement courir ses doigts sur le couvercle dont le vernis noir, usé par le temps, commençait à s'écailler.
Son regard revint brusquement se poser sur Jona. Il en avait presque oublié sa présence, tant l'attraction que le piano exerçait sur lui était puissante.

Konstantin avait entraîné la jeune femme dans le living-room du château. Celui-ci, bien qu'immense et très bien équipé, était désert à cette heure matinale. En son centre, trônait un sublime piano à queue devant lequel l'Allemand s'installa presque aussitôt après avoir franchi le pas de la porte. L'espace d'un instant, il sembla à Jona Lune qu'il avait fait abstraction du reste du monde. Il était seul devant son instrument.
Enfin, il se rappela de la présence de l'Islandaise. Celle-ci s'était assise sur une des nombreuses banquettes de la pièce ; depuis laquelle elle l'observait, des étoiles plein les yeux. D'un milieu modeste, Jona n'avait eu qu'une seule fois l'occasion d'entendre jouer d'un tel instrument. Et ça, une après-midi lors de laquelle elle avait du remplacer sa mère souffrante, chez un nouveau riche Anglais venu s'installer dans la région il y avait peu de temps de cela. Celui-ci avait joué la célèbre Lettre à Elise de Ludwig van Beethoven. Et la petite fille qu'elle était alors avait adoré cette pièce musicale.
▬ Pourriez-vous me jouer la Lettre à Elise ?
Avait-elle demandé.
Sans un mot, Konstantin souleva le couvercle vernis du vieil instrument et commença à pianoter quelques notes. Bientôt la mélodie du compositeur allemand emplit la grande pièce. Le musicien ferma les yeux pour ne les réouvrir que lorsque la dernière note eut été jouée. S'ensuivit un silence de plomb durant lequel Konstantin et Jona s'observèrent. La jeune femme, qui avait profité de ces quelques minutes d'inattention pour s'approcher du second personnage, était tout bonnement bouleversée par ce qu'elle venait d'entendre. Elle dut attendre de se remettre de ses émotions pour -enfin- oser rompre le silence qui s'était installé entre eux deux. Cet homme, qu'elle connaissait à peine, la faisait déjà pleurer...
▬ Merci... Infiniment.
Elle essuya quelques larmes d'un revers de la main.

▬ Pourriez-vous me jouer la Lettre à Elise ?

Avait demandé la jeune islandaise avec une certaine avidité. Le détective s'exécuta avec un plaisir non dissimulé. Il faut dire que les amateurs de musique classique se faisaient de plus en plus rares de nos jours, et cela lui faisait toujours plaisir d'en croiser un, il se entait moins seul.
Les premières notes de la célèbre bagatelle en la mineur de Beethoven emplit bientôt la pièce toute entière. Konstantin finit par fermer les yeux. Il n'avait pas besoin de regarder le clavier, ses doigts agiles se mouvaient avec assurance, il avait joué dans de fois ce morceau... Réfugié dans l'obscurité de ses paupières closes, il lui semblait toujours que la musique devenait bien plus que ce qu'elle était d'ordinaire. Chaque note, chaque accord lui semblait devenir plus intense, prendre vie; et son cœur tout entier vibrait au rythme des arpèges qui s'échappaient de sous ses doigts.
Une fois que la dernière note fut jouée et qu'un silence de mort se fut abattu sur le living-room, l'allemand rouvrit enfin les yeux et les posa sur Jona, qui s'était approchée de lui. Elle semblait bouleversée par ce qu'elle venait d'écouter, et ses yeux bleus brillaient de larmes. Konstantin approuva mentalement cette réaction. Une gamine qui pleure devant un morceau de classique, on en fait plus de nos jours, il allait commencer à l'apprécier celle-là... Il ouvrit la bouche pour dire quelque chose, mais avant qu'il ait le temps de prononcer un seul mot, Vladimir fit irruption comme une tornade dans la pièce et se jeta littéralement sur la jeune femme.


▬ AMAZIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIING ! Beugla l'albinos en la soulevant du sol. T’es trop mignonne toi. A-d-o-r-a-b-l-e même.

Ajouta-t-il en lui pinçant les joues comme s'il s'agissait d'une poupée ou d'un bébé chien. Le vieux détective soupira avant de s'allumer une nouvelle clope d'un air las.


▬ Un peu de tenue, M. Kalachnikov, danke schön.

Ce crétin n'avait pas intérêt à lui voler sa proie. Pour une fois qu'il était susceptible d'obtenir les réponses qu'il cherchait sans trop se fatiguer...

▬ AMAZIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIING ! T’es trop mignonne toi. A-d-o-r-a-b-l-e même.

Il avait débarqué dans le grand salon telle une furie, et lui pinçait maintenant les joues sans ménagement. « Il », un jeune homme aux mèches blanches et à la peau d'albâtre. * Un albinos. *, pensa-t-elle. D'abord surprise par tant d'entrain, Jona Lune était restée tétanisée. Que faire. Elle se surprit à penser que cette jolie tête blonde pourrait littéralement fondre en larmes si elle venait à le repousser. La rousse lança un regard désespéré à Konstantin qui, lui, ne semblait pas être étonné du comportement du jeune homme. Il le connaissait donc ; un autre résident de Blockhurst, sûrement. Ses joues la faisaient souffrir.
Enfin.


▬ Un peu de tenue, M. Kalashnikov, danke schön.

Jona Lune fut soulagée de voir qu'il lui obéissait. Elle soupira, puis adressa un sourire reconnaissant à l'allemand. Enfin, elle se retourna vers le second personnage. Il se tenait maintenant à une distance suffisamment raisonnable pour que Jona puisse l'examiner de plus près : ces mêmes mains qui avaient tout à l'heure maintenu fermement le visage de l'islandaise étaient couvertes de grands pansements. Et elle aurait mis sa propre main à couper que les mêmes bandages ornaient son front, cachés derrière ses cheveux.
Souffrait-il des mêmes maux que la jeune femme ? En existait-il d'autres ? Les souvenirs ravivés il y a quelques minutes seulement par les notes de piano lui semblaient déjà bien lointains. Seules compaient maintenant pour Jona Lune les réponses que pourraient lui apporter les habitants de l'étrange manoir. Elle vint se planter devant le jeune homme.


▬ Tu peux te transformer en loutre toi aussi, pas vrai ? Et on nous soigne ici ?

Avait-elle dit d'une traite. Elle était déterminée à obtenir des réponses à ses questions, et à comprendre ce qu'il lui arrivait depuis quelques jours déjà. Pas une seconde, elle ne s'était doutée de la vérité que les gens de Blockhurst allaient devoir lui révéler.