Il devait être huit heures, et un soleil pâle se levait à l'horizon, éclairant la Terre endormie de ses rayons encore timides. Sur la route de campagne déserte, un taxi filait sur le bitume humide de rosée, les ombres des arbres se découpant sur sa carrosserie d'un gris métallique. Le chauffeur, un homme d'une trentaine d'années portant une moustache bien fournie, bavardait chaleureusement avec son passager, une belle jeune femme aux yeux ambrés. Accoudée à la fenêtre en plexiglas, elle posait un regard rêveur sur le paysage environnant, répondant parfois distraitement aux questions de son chauffeur. Son anglais était parsemé d'un léger accent du Sud, comme le Midi ou l'Italie, mais la pâleur de son teint révélait des origines diverses. Sa main gauche, fine et élégante, serrait nerveusement la bandoulière d'une sacoche en jean rehaussée de cuir authentique, qui semblait contenir bien plus que ce que son format lui permettait. La jeune femme était vêtue simplement. Elle portait un pull long de couleur chocolat, serré sur les hanches par une ceinture en cuir ocre, par-dessus un jean noir rentré dans des bottes en daim et fourrées de couleur brune. A son cou, pendait une chaîne ornée seulement d'une poire en argent portant une pierre discrète et finement taillée, tandis qu'une bague, en argent elle aussi, représentant un dragon s'enroulait autour de son majeur droit. Ses cheveux étaient lâchés, cascadant sur ses épaules en ondulations châtains, et son maquillage presque invisible. Ses pupilles ambrées tranchaient avec la pâleur de son visage finement ciselée, et son nez un peu relevé lui donnait un air malicieux et rieur. De temps à autres, elle hochait la tête, comme pour appuyer ses paroles lancées en l'air. Enfin, le taxi finit par s'immobiliser devant un grand portail noir en fer forgé, et à la décoration lourdement ornementée. La jeune femme sortit de la voiture, incapable de détacher son regard de la grande bâtisse qui se détachait dans le lointain. A présent, le soleil était tout à fait levé, et elle savoura la chaleur de ses rayons quelques instants. Ce fut la voix de son chauffeur qui la ramena à la réalité, et elle se précipita vers la malle pour récupérer sa valise. Prévenant, l'homme s'étonna de la trouver sans manteaux par ces températures un peu rudes. Avec un sourire, elle lui assura qu'elle n'était pas frileuse, le paya et le remercia, avant de franchir le grand portail. Intrigué, le chauffeur la regarda s'éloigner, avant de remonter dans son véhicule et de prendre la direction de la ville la plus proche.

Jade fut soulagée d'entendre le moteur du taxi s'éloigner, et elle se retourna discrètement, pour s'assurer qu'il était bel et bien parti. Pendant quelques secondes, elle contempla la carrosserie grise qui disparaissait au loin, et comme le ronronnement du moteur s'évanouissait, elle réalisa l'épaisseur du silence qui entourait les lieux. Posant sa lourde valise à terre, elle balaya les environs du regard, admirant la propreté et la netteté du jardin. Face à elle, une grande porte en bois était entrouverte, comme si elle invitait les visiteurs à pénétrer dans son enceinte. Jade se sentait nerveuse, et elle se demanda encore ce qui l'avait poussée à se jeter dans cette aventure. Mais, elle n'avait pas le choix, elle le savait. En dehors de ces murs, le monde lui serait hostile, et elle serait condamnée à errer en solitaire. Bien qu'elle appréciât le silence et la tranquillité, cette perspective ne l'enchantait guère. Aussi prit-elle son courage à deux mains, et entra par la porte entrebâillée.

La jeune femme pénétra dans un grand hall carrelé, d'où partaient plusieurs couloirs éclairés par de grandes fenêtres. L'endroit semblait spacieux et agréable, et Jade commença à se sentir chez elle. A sa gauche, on avait disposé un grand comptoir en bois verni, recouvert de papiers en tous genres, et manifestement désert... Jade s'approcha lentement, repéra une sonnette et appuya sur le bouton. Une courte sonnerie retentit entre les murs clairs, mais personne ne vint. Posant à nouveau sa valise, Jade vérifia que les environs étaient déserts, puis se risqua à se pencher par-dessus le comptoir, et à examiner plus en détails la paperasse qui envahissait le bureau. Peut-être pourrait-elle trouver quelques renseignements... ?

Up

Comme le silence se prolongeait, Jade commença à croire que le château était bel et bien désert. Réprimant un soupir de fatigue, elle se détourna du bureau, et fit quelques pas dans le hall carrelé, où ses pas résonnèrent longuement contre les murs clairs. Attendant une âme généreuse qui viendrait à son secours, elle leva la tête et contempla l'énorme lustre qui pendait au plafond. En or massif, il semblait très ancien et lourdement ouvragé, avec des ampoules aux formes anciennes. Laissant son regard ambré glisser sur le mobilier, elle réalisa que tout était précieux, et dans le style le plus riche. Elle n'avait aucune idée de qui tenait ce château, encore moins de qui le finançait, mais il s'agissait probablement d'un homme important, avec des moyens conséquents.

Ce fut un bruit de pas qui la tira de ses pensées, et elle posa les yeux sur un jeune homme qui s'avançait tranquillement dans l'allée, un air avenant sur le visage. Il était grand, plutôt musclé, avec des cheveux bruns sombre et légèrement bouclés, ainsi que des yeux qui exprimaient une certaine gentillesse. Avec politesse, il lui demanda si elle nécessitait son aide. Pendant quelques secondes, Jade resta interdite devant sa générosité, peu habituée au fait que les autres prennent soin d'elle. Elle lui sourit à son tour, et retourna auprès de ses bagages.

- Et bien, je viens tout juste d'arriver, et j'aurais aimé savoir quel chambre on m'a attribuée. Malheureusement, le comptoir semble plutôt vide.

Jade eut un nouveau sourire, et elle se surprit à rire de sa situation. Elle était là, perdue au milieu hall, sans personne pour la secourir.

Comme elle retournait à ses bagages, elle sentit son regard posé sur elle, ne la quittant pas une seule seconde. Il était poli, attentif à ce qu'elle disait, et Jade trouvait cela assez agréable. Son enthousiasme la mit en confiance, et elle sentit qu'il était quelqu'un sur qui on pouvait compter, aussi lui sourit-elle à nouveau, ses yeux ambrés irisés de teintes or. Malheureusement pour eux, le hall semblait bel et bien désert, et aucune âme vivante ne semblait décidée à se montrer. Vaguement agacée, elle repoussa distraitement une mèche de cheveux qui tombait devant ses yeux, la coinçant derrière son oreille droite. Tournant le dos au jeune homme, elle fit quelques pas hasardeux dans le couloir réservé au Service, mais encore une fois, ne vit personne. Ce fut la voix du jeune homme qui la rappela à la réalité, et elle se retourna vivement, une expression curieuse sur le visage. Il désirait simplement savoir son nom. Elle eut un nouveau sourire, revint vers lui, et répondit poliment.

- Je m'appelle Jade Galilea, et vous ?

Avant qu'il ne puisse répondre, une dame assez âgée finit par se présenter. De petite taille et rondelette, elle était manifestement dans la soixantaine, avec des bigoudis encore accrochée dans ses cheveux d'un gris passé. Un air renfrogné sur son visage, elle passa derrière le comptoir et leva des yeux fatigués vers la jeune femme.

- Votre nom ?
- Hum... Jade Galilea.

La vieille dame étouffa un grognement, fouilla brièvement dans les papiers jonchant le bureau et finit par sortir une grille comprenant des numéros et une liste de noms. Après quelques minutes à parcourir la liste, elle leva la tête.

- Couloir Sud, chambre 208.

Jade eut un faible sourire, hocha la tête, et empoigna ses bagages. Heureusement que certaines personnes étaient aimables, elles...

La vieille dame lorgna les deux jeunes gens d'un oeil vaguement soupçonneux, avant de hausser les épaules et de se détourner, retournant vaquer à ses occupations. Jade la suivit des yeux pendant quelques secondes, se demandant ce qui pouvait bien rendre cette dame aussi aigrie. Réprimant un soupir de fatigue, elle entendit le nom du jeune homme et se rappela lui avoir déjà demandé. Elle eut un sourire confus et passa sa main dans ses cheveux pour dissimuler son embarras. Comme elle allait prendre ses valises, Damien la devança et s'empressa de lui épargner cette peine. Jade eut un bref mouvement de surprise, avant de le remercier chaleureusement :

- Merci beaucoup... Vous n'êtes pas obligé.

Jade fit quelques pas dans le couloir sud, avant d'entendre à nouveau Damien lui parler. Les clés ? Mais bien sûr, quelle idiote. Elle eut un rire nerveux, rougit brièvement, avant de se dépêcher de récupérer le petit trousseau posé sur le comptoir en bois verni. Enfin sûre que rien ne manquait, elle se tourna vers le jeune homme.

- Je crois que l'on peut y aller.

Ensembles, ils se dirigèrent vers l'ascenseur menant au second étage sud, et un léger silence plana en attendant que la cabine n'arrive. Enfin, un tintement se fit entendre et les portes en acier coulissèrent et les deux jeunes gens se glissèrent à l'intérieur. Nouveau silence et Jade eut un soupir. Elle n'avait jamais été douée pour entamer la conversation.