Et merde. Qu'est-ce que tu foutais là ? Dans cette église ? Tu aurais pu te réfugier n'importe où pour éviter la pluie. N'importe où, et tu as choisi d'aller écouter la messe. La messe sous la pluie. Un véritable somnifère, entre le doux clapotis de l'eau et le laïus incompréhensible d'un prêtre qui parle de rédemption après la mort sans jamais avoir rien connu de répréhensible. Tu étais parti du château sous la pluie, emmitouflé dans ton grand pardessus noir. Ta jument t'avais suivi, ses crins dégoulinants, et tu ne lui avais rien dit. Tu ne l'avais même pas regardée. C'est vrai qu'elle ne méritait pas vraiment ton intention. Mais elle t'avait suivi au gré de tes tribulations, fantôme muet que seul le chagrin meut, comme un pantin rouillé. C'est ainsi que vous étiez arrivés dans la petite paroisse où seules quelques personnes dormaient à moitié sur les bancs. Le pasteur, emmitouflé dans sa longue robe, récitait ses prière en une mélopée ininterrompue, sans passion. Ses lunettes glissaient régulièrement de son nez crochu et il les replaçait d'une main tremblante toutes les cinq minutes. Tu t'étais avancé dans l'allée de pierre pour te placer dans une des rangées de devant. A peine avais-tu entendu le claquement des sabots sur la pierre nue que tu t'étais retourné et avais foudroyé ta bête du regard. Penaude et déçue, elle s'en était retournée sous la pluie, restant couchée sur la parvis de l'église, tentant de garder un peu de chaleur.

Tu n'avais pas prié, tu n'avais jamais cru en Dieu. Pourquoi y aurait-il une identité à faire justice alors que la seule justice c'est le hasard ? Mais tu t'étais installé sur un de ces bancs, adossé contre le dossier qui avait craqué sous ton poids. Le bois vermoulu était tremblant, visiblement cassant et vieux, et sa couleur sombre manquait sans aucun doute de vernis. Tu te serais bien allumé une cigarette mais tu savais parfaitement que fumer dans une église était proscrit. Tu t'étais donc renfoncé dans ton manteau, avais mis tes mains dans les poches et fermé les yeux. En entrant tu avais bien perçu des regards courroucés de la part des croyants et cette attitude n'allait rien arranger mais tu n'en avais cure. J'étais bien d'accord avec toi. Et finalement tu t'étais endormi. C'est vrai que les litanies du vieil homme se prêtaient parfaitement à un petit somme, tout autant que la pluie diluvienne qui continuait de tomber au-dehors. Il ne faisait pas très chaud à l'intérieur mais tu étais toujours mieux que sous la pluie comme ta pauvre jument. Tu flottais entre rêve et réalité, dans une sorte de coma où les ombres jouaient sous tes yeux mais où les prières résonnaient tout de même. Puis tout s'arrêta. Le prêtre s'était tu et avait quitté la pièce. Tous les gens qui étaient là aussi, mis à part une jeune fille qui câlinait un tigre. Elle devait venir du château, cela ne faisait aucun doute. Et malgré les interdictions, malgré les principes et la morale, tu t'allumas une cigarette. C'est vrai que le bon sens te faisait souvent défaut. Et tu te levas en secouant la tête, comme pour bien te réveiller. Alors tu t'approchas de la jeune fille et de son félin. Accroupi auprès de la bête, tu tendis une main hésitante vers sa tête et tu lui demandas son accord, t'adressant expressément à lui et non pas à la fille comme la logique l'aurait voulu. Tu connaissais la fierté sans bornes des félins.

▬ Puis-je ?

Puis tu levas la tête vers sa propriétaire et t'adressas à elle, fuyant légèrement son regard. Pourquoi ?

▬ Comment s'appelle-t-il ?

C'est ce moment précis que choisit ta jument pour entrer. Sans doute en avait-elle assez du mauvais temps. Ses sabots cliquetèrent un instant sur le sol puis elle s'arrêta derrière toi. Elle baissa la tête comme si elle allait la poser sur ton épaule mais au dernier moment elle se ravisa. Elle avait essuyé suffisamment de refus pour l'heure.

Le museau tendre du félin s'était frotté contre ta paume, dans un acquiescement muet. Tu posas alors ladite main sur sa tête et caressas la fourrure drue. Les doigts enfouis dans ses poils, tu ne regardais plus sa propriétaire, bien qu'attendant toujours une réponse de sa part. Mais bientôt tu oublias ce que tu lui avais demandé, préférant plonger dans les yeux de glace du tigre. A ce moment tu te souvins d'une phrase de J.K. Rowling dans Harry Potter quand elle décrit le professeur Dumbledore. Elle dit que le directeur semble vous passer aux rayons X avec ses yeux bleus, par-dessus ses lunettes en demi-lune. Tu adorais les Harry Potter. Et ce sentiment exact d'être criblé par le regard de la bête t'amusais presque quand tu y pensais. Puis sans que tu l'attendes, la réponse vint.

▬ Noa.

Il s'appelait donc Noa. Tu ne trouvais pas ce nom très noble pour une si fière créature mais tu ne laissas rien paraître. Mais soudain la jeune femme se rapprocha de toi et d'un geste preste te délesta de ta cigarette. Ses mains étaient habilent et semblaient habituées au glanage. Tu sursautas sur le coup, ne t'y attendant pas du tout mais après tout ce n'était pas grave. Chez les marines en Irak, il arrivait régulièrement que chacun tire ses bouffées d'une même cigarette. Le regard moqueur de l'inconnue t'ennuyait. Et d'un ton ironique elle te lança en une parodie de ta précédente question :

▬ Puis-je ?

Tu ne répondis pas tout de suite à son défi, préférant sortir de ta poche ton paquet de Camels pour t'en griller une nouvelle. Tu n'en manquais pas. Pyromane comme tu l'étais, tu allumais tes cigarettes avec des allumettes, tu aimais voir leur flamme trembler, danser et dévorer le bois tendre. Sortant de ta contemplation, tu agitas la brindille pour l'éteindre et après avoir soufflé un panache de fumée au nez de la jument - qui éternua bruyamment - tu répondis.

▬ Si ça vous plaît. Je ne vais pas vous sauter à la gorge pour une clope.

Même si étrangement on avait l'impression que c'était ce qu'elle voulait. Tu n'avais pas relevé son défi. Et tu te demandais comment elle allait le prendre. Mais surtout tu surpris son regard insistant sur la jument. Ta jument même si tu ne voulais pas le reconnaître. Ses yeux te questionnaient, voulaient savoir. Elle se doutait que tu étais un... Comment déjà ? Ah oui, un Aegyl. Tu aurais pu lui répondre, tu aurais pu lui dire le nom de la jument, comment vous vous étiez rencontrés, comment vous étiez arrivés ici... Mais la créature n'avait pas de nom et tu ne désirais pas raconter ton histoire comme tu l'avais fait avec l'autre donneuse de leçons. Alors tu ne dis rien. Tu attendis qu'elle fasse l'effort de parler. Tu n'allais pas tout lui déballer comme ça après tout. Ce n'était pas trop ton genre d'habitude.