« But we're instinctive creatures. We want to live. »

Les résidents du château se pressaient dans les jardins et les alentours du château. De là où j'étais, on aurait dit une petite colonie de fourmis. Fourmis marchant, courant, de manière totalement anarchiste et sans trajectoire prévisible. J'avais beau analyser, réfléchir, je n'arrivai pas à savoir où allaient ces gens. Et je n'avais aucun moyen de les influencer. J'observai le monde d'en haut. Si Dieu existait, il devait regarder aussi comme ça. C'était bizarre. Comme un sentiment de domination, de puissance. Savoir qu'en tendant mon pied au-dessus du vide, je recouvrai plusieurs mètres carrés de terre. J'aimais ça, je me sentais libre.

Ce que je faisais, je suppose que je n'avais pas le droit de le faire. J'avais profiter de réparations sur le toit d'une aile du château et de la pause des ouvriers pour utiliser l'échelle laissée en place et me hisser sur les tuiles. Je m'étais assises, et j'observai les alentours. On avait une belle vue, de là-haut. Je pouvais voir tout le domaine du château, ainsi que le village qui le bordait. C'était paisible. Je voyais les élèves en mouvement, je les voyais s'agiter, j'imaginai leurs rires, leurs cris. Et pourtant je n'entendais rien, mis à part le souffle du vent quand il voulait bien montrer le bout de son nez.

J'étendis les jambes et les bras devant moi, m'étirant et ronronnant comme un chat, satisfait de sa place et des rayons de soleil qui chauffaient son corps. Je savais que si on me voyait ici, j'aurai de sérieux ennuis. Mais après tout, je n'étais pas à ça près. J'avais résolu depuis quelques années de me laisser dicter par mes envies, peu importaient les conséquences. Cette fois ne serait pas l'exception à la règle.

Ma condition de félin me faisait aimer la hauteur. J'aimais dominer, il fallait toujours que je sois positionnée sur le point le plus haut. C'était comme ça. Alors ici, imaginez mon bonheur. Je ne souffrais bien entendu pas du vide, bien au contraire. Donc au pire, en qu'à de pépins, je pourrais toujours m'amuser à sauter de toit en toit, jusqu'à trouver une fenêtre ou quelque chose comme ça. Ni vu ni connu. Et si je tombais ? Je n'y pensais même pas. J'étais bien trop agile pour ça. Et puis au pire... Au moins je serai morte en faisant ce que je voulais !

Quelques personnes s'arrêtèrent, et je voyais leur bras me pointer. Ah, j'étais repérée visiblement. J'haussai les épaules, tournant mon regard vers le ciel, et soupirant. Je me demandai ce qu'ils pensaient, si ils disaient que c'était de la folie, ou si j'allais avoir des ennuies. Surement les deux... Oui, il fallait être fou pour monter là-haut. Mais j'étais une accro à l'adrénaline, aux sensations fortes. Comment aurais-je pu ne pas le faire...?

L'inaccessible à toujours attiré les plus ambitieux, les plus rêveurs, les plus chevronnés des hommes. A vrai dire, tout le monde rêve un jour de ce qu'il ne pourra jamais avoir. Et si je pouvais être connu, et si je pouvais sortir avec ce superbe acteur très populaire en ce moment, et si je pouvais et président et si... Avec des "si" on pourrait changer le monde, avec des "si" on pourrait faire en sorte qu'il n'y ait plus jamais de famine en Afrique, en pourrait éviter l'attentat du World Trade Center et la mort de Mickael Jackson. Si j'étais un oiseau, je pourrais voler. Jay regardait le ciel, rêveur. C'était une scène assez bizarre, lui qui vivait toujours sa vie à fond, il prenait le temps de se poser, de contempler l'immensité du ciel et ses nuages. Le toit du chateau était assez pentu, les tuiles paraissaient vieilles, usées par le temps. Tout paraissait si triste, seules les couleurs bariolées des fleurs qui poussaient le longs des murs et sur les balcons pouvaient nous faire penser à un chateau de compte de fée. Mais à vrai dire c'était dur à y croire : ici tellement de gens avaient vus leur plus grand rêve brisé, avaient prit conscience que leur avenir était peut être finalement juste tout tracé... Lui même ne savait plus vraiment où il allait en ce moment, certes, il avait trouvé des personnes comme lui, certes il se sentait bien ici; mais à présent, quel but pouvait-il donner à sa vie ? Quel chemin prendre ?
Soudain, ses yeux se posèrent sur une silhouette noire, perchée sur le toit. Un chat ? Ou alors un des convives du château qui avait envie de prendre de la hauteur ? Jay y avait déjà pensé, cela devait surement être interdit, mais il aimait enfreindre les lois, tester les autres et leur autorité qu'ils croyaient si incontestable. Un sourire illumina soudain son visage, et il se mit à courir en direction du château. Après tout, pourquoi pas aujourd'hui ? Il monta les escaliers rapidement, faillit bousculer au moins cinq personnes et finalement il arriva au dernier étage: des travaux semblaient être en cours et les murs sentaient l'enduit. Plus loin, des ouvriers jouaient aux cartes, surement pendant ce qui devait être leur pause de midi... Le jeune homme se fit discret et monta doucement sur le balcon puis escalada le toit, se retrouvant sur les tuiles d'un ocre rouge; la vue était superbe et le garçon sentit son estomac se serrer devant le panorama. Au sol, les gens grouillaient comme des fourmis indécises à la recherche d'un pique nique mal rangé. Jay se tourna et vit la personne qu'il avait remarqué depuis le sol tout à l'heure, visiblement elle ne l'avait pas entendu arriver. Il s'approcha d'elle avec douceur pour ne pas lui faire peur et qu'elle fasse une chute, qui devait être à cette hauteur là, mortelle. Le jeune homme se racla la gorge. « Salut ! »

« Vivre ; ça doit être une sacrément belle aventure !! »

Et s'ils me prenaient pour une suicidaire ? C'était une autre possibilité, qui me venait subitement en tête. J'imaginais bien les pompiers arriver, les hauts-parleurs mis plein pots, pour tenter de me dissuader de ma suicider. Je voyais aussi d'avance leur super discours, sur l'intérêt cruciale de la vie, du fait qu'il y a des hauts et des bas, mais qu'on rebondit toujours, et enfin l'expression « Ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort ». J'eus un sourire triste. Ma maladie me tuerait, c'était inévitable. Ça ne me rendrait donc pas plus forte. Mais bon, c'était pas pour autant qu'il fallait que je broie du noir. Justement, il fallait que je prenne mon pied, que je profite du restant de vie qu'il me restait. Donc non, en aucun cas je ne serais suicidaire. Condamnée, peut-être, mais pas désespérée.

Il y avait de plus en plus de gens autour du bâtiment. Je poussai un soupir, les gens ne pouvaient-ils pas vivre leur vie, sans se préoccuper de celles des autres ? À se regrouper comme ça, ils allaient attirer l'attention, et les ouvriers finiraient bien par revenir, et par découvrir la faute. Ralala... Je vis des bras tournés vers un autre bâtiment, à ma gauche, sans trop comprendre pourquoi. Visiblement les gens avaient trouvé autre chose à regarder, tant mieux. Je fermai de nouveau les yeux, ne me préoccupant plus que des rayons du soleil sur ma peau et du vent qui faisaient onduler mes cheveux. C'était tellement plaisant...

« Salut ! »

À dire vrai, je ne l'avais pas entendu venir. Enfin si, j'avais cru entendre des bruits proches de moi, mais je m'étais dit que ça devait être le vent sur les tuiles, ou les bâches qui couvraient les murs qui claquaient. Mais... Non, c'était quelqu'un. J'eus un sursaut, et j'ouvris les yeux, les braquant sur l'inconnu. Le bon côté, c'est qu'il était jeune, qu'il avait un large sourire, et l'air carrément amical. Ce qui portait à croire qu'il avait juste envie de venir sur les toits, et qu'on avait donc eu la même idée.

« Toi non plus tu n'as pas résisté à l'appel de la hauteur ? »

Ce n'était pas vraiment une question, vu que la réponse était évidente. C'était surtout répondre quelque chose. Je souris, regardant autour de nous. Comme quoi, je n'étais pas la seule à ne pas avoir peur d'enfreindre les règles. Ça présageait quelque chose de bon !

Le vent faisait tanguer les sommets verts des arbres, au loin une foret de sapins se dressait dans la lumière blafarde du jour, puis encore un peu plus loin, un champs de blé ondulait, comme si il était traversé par les frénétiques vague de l'océan atlantique. Jay sourit à la jeune fille et se rapprocha d'elle en faisant attention de ne pas tomber, ça risquait d'être un désastre si cela arrivait aussi bien pour lui que pour tous les pauvres innocents qui étaient en bas. « Oui, on peut dire ça comme ça ! » Il vint s'assoir à coté d'elle; au sol, les gens commençaient à ne plus se soucier d'eux, surement avaient-ils d'autres chats à fouetter et pensaient-ils que Jay était venu aider la jeune fille qui paraissait avoir des envies suicidaires. Il lui tendit la main. « Moi c'est Jay ! »

« Le ciel est notre empire pour vaincre ou pour périr. »

C'est vrai que les gens commençaient à ne plus faire attention à nous. Nous voir tous les deux assis sur les toits, ça faisait pas très suicidaire comme posture. Ils devaient finir par s'être lassés de toujours devoir lever la tête en l'air pour voir ce qu'il se passait. Eh ouais, à force, on peut choper des torticolis ! Enfin bon, faut avouer, en général les gens se massent et arrêtent leur train-train quotidien quand il y a du piment devant eux. Genre une bagarre, ou un accident. Tout de suite une foule de badaud se crée automatiquement. Ça en devient pitoyable. Les gens de nos jours sont attirés par les histoires glauques, par les scènes qui finissent mal. Ils préfèrent assister en tant que spectateurs, se délecter des détails, mais ne pas participer à l'intervention. Comme des vautours.

« Oui, on peut dire ça comme ça ! »

Je souris à l'idée qu'il puisse tout de même encore exister, parmi cette foule de spectateurs, des personnes qui aiment le grand frisson, le vrai, celui que l'on sent couler dans nos veines plutôt que de simplement regarder ce qu'il se passe de loin et d'imaginer ce que l'on peut ressentir à la place des personnes qui agissent.

« Moi c'est Jay ! » Je pris la main qu'il me tendait, la secouant avec énergie.
« Et moi Elynne, enchantée. »

Je reportai par la suite mon regard sur les alentours, et sur le château. Je voyais des élèves, mais aussi des animaux. Je ne savais pas vraiment ce que c'était. J'avais supposé qu'ils étaient liés à un humain, mais je n'avais pas encore eu le temps d'en découvrir plus. J'étais nouvelle, j'avais été occupée, et du coup je me sentais un peu à la ramasse. Oui, bon, complètement à la ramasse. Mais peut-être que Jay pourrait m'éclaircir un peu sur ce sujet.

« Je suis nouvelle, et donc complètement ignare. Les personnes qui ont des animaux avec eux, leurs relations consistent en quoi ? »

Bah quoi, fallait bien que je trouve une réponse ! Et à moins de la deviner, je ne voyais pas trop comment je pouvais la trouver toute seule. Oui, bon, c'est sûr que ça aurait été plus vite de demander à une personne qui était concernée, mais qui sait, peut-être que Jay l'était, et que son animal était petit, genre une souris, ou volait haut dans le ciel !