[ Quelques mois après l'arrivée de Jona. ]


A quoi bon. A quoi bon vivre, quand on sait que l'on a raté la meilleure chose qui pouvait nous arriver, quand on vit avec la certitude de n'avoir plus aucun but à servir sur cette terre, plus aucun rêve pour nous faire espérer; quand on a rien, rien d'autre que nos cauchemars qui nous tiennent éveillé le soir, et nos souvenirs pour nous rappeler encore et encore ce que nous avons perdu. A quoi bon rester... Cette question, Konstantin se la posait et se la reposait inlassablement, depuis des mois, sans jamais en trouver la réponse. Sans doute parce que cette dernière était évidente. Il n'avait aucune raison de rester. Strictement aucune. Il n'était qu'un vieil agent solitaire et antipathique, que personne ne regretterait s'il venait à disparaître. Il n'avait pas de famille, pas de véritables amis. Il manquerait peut-être un peu à John, son patron, mais uniquement parce qu'il avait été autrefois son meilleur agent, pas parce qu'il l'appréciait. Il n'était pas irremplaçable, bien loin de là, et il le savait.

Lentement, il se passa les mains sur le visage et poussa un long soupir plein de lassitude. Son regard se posa sur l'horloge accrochée au mur, près de la porte, dont le tic-tac lent et régulier rythmait doucement le silence qui régnait dans la chambre du détective. Cinq heures quarante du matin. Il était assis là, sur son canapé, depuis la veille a soir, à fixer désespérément les aiguilles égrener les heures les unes après les autres, dans l'espoir de sentir ses paupières se fermer. Mais il n'avait pas fermé l'oeil une seule seconde, depuis maintenant un peu plus d'une semaine. C'est long une semaine sans sommeil, sans ces quelques heures où, lorsqu'elles n'étaient pas peuplées d'affreux cauchemars remplis de mutilations et d'hommes masqués, Konstantin trouvait enfin un peu de répit. Les rares fois où, trop assommé pas les antidépresseurs et les somnifères, il s'endormait d'un sommeil lourd et sans rêves, il pouvait enfin goûter à la tranquillité. Au fond, le sommeil est ce qui ressemble le plus à la mort.

Il balaya la pile de dessins posés sur la table basse devant lui, avant de se saisir d'un verre et d'une bouteille de whisky à moitié vide. Il en but une gorgée, le goût de l'alcool lui arracha une légère grimace. Ses mains tremblantes se mirent à tâtonner au milieu des papiers chiffonnés et des croquis ratés, à la lumière vacillante de l'unique bougie qu'il avait allumée. Il finit par trouver ce qu'il cherchait : une boîte en fer blanche, qu'il ouvrit avec précipitation. A la vue des nombreuses pilules qui s'y trouvaient, ses yeux gris s'éclairèrent d'une brève lueur de soulagement. Il en prit une poignée et l'avala sans plus tarder, suivie de près par son verre de whisky, qu'il but d'un trait. La première chose qui lui vint à l'esprit fut de se demander ce que l'on penserait, quand on le retrouverait. C'était absurde.
Au fil des minutes qui s'écoulaient, sa vue commença à se faire trouble, l'horloge semblait s'étirer et tournoyer devant ses yeux. Un vague sourire vint étirer ses lèvres, et l'obscurité l'envahit tout entier. Personne, non, personne ne saurait ce qu'il s'était passé dans cette pièce. On n'entendit même pas, couvert par les cloches de Brockhurst qui sonnaient six heures, le bruit de son verre qui venait de se briser sur le sol.

Vladimir s'était endormi. Il tenait encore à bout de bras une bouteille presque vide d'un alcool de fabrication russe. Jona Lune se dépêcha de l'en décharger avant qu'elle ne vienne s'éclater au sol dans un fracas qui ne manquerait pas de réveiller tout le couloir nord. Et la jeune femme n'avait pas forcément envie de se retrouver devant un Cerbère fou de colère de s'être fait réveiller de la sorte à une heure aussi... matinale.
Elle déposa le récipient sur le bord de la petite table de nuit abimée par les eaux, puis se retourna vers le jeune albinos. Cette fois encore, il était venu la chercher ; complètement saoul après avoir été contrarié par elle ne savait quoi. Jona Lune n'avait pas posé de question. Elle s'était contentée de le rejoindre dans son lit ; non pas parce que la rousse éprouvait un quelconque sentiment amoureux envers Vladimir -ils n'avaient toujours été que de très bons amis-, mais il s'agissait là d'un rituel qui s'était peu à peu "imposé" à eux.
La peau de l'albinos, seulement éclairée par la pâle lumière des bougies, semblait translucide. Si bien que l'espace d'un instant, Jona eut l'impression d'apercevoir chacun des organes vitaux du jeune homme, dont son coeur battant la chamade pour une quelconque tierce personne. Il était d'une beauté rare et saisissante, et son sommeil n'était pas aussi agité que les autres nuits. L'alcool ingurgité aidant sans doute.

Son sommeil était paisible.
Alors pourquoi diable ses tripes étaient-elles habitées par un tel pressentiment ?
Jona avait beau essayer de s'endormir près de Vladimir, elle ne pouvait s'empêcher de penser qu'un drame allait se produire. Avant même que le soleil ne se lève. Ses membres se crispèrent lorsque des aboiements retentirent dans tout l'étage. La jeune scandinave reconnaîtrait le doberman de Konstantin entre mille : il se passait quelque chose dans la chambre voisine. Sans même prendre le temps d'essayer de réveiller son bel ami (ce qu'elle n'aurait de toute façon pas réussi à faire à cause de la vodka), Jona bondit hors du lit, enfila le haut du russe, puis quitta la pièce.
Elle manqua de s'écrouler lorsqu'elle découvrit Konstantin. Un coup d'oeil rapide sur les quelques pilules qui jonchaient le sol et la bouteille de whisky lui suffirent à comprendre qu'il venait de commettre l'irréparable. Nox, assis dans un coin de la petite chambre, hurlait à la mort. La rousse risqua quelques pas dans la direction de Konstantin : elle avait peur de sa réaction.

▬ Konstantin ?
Les yeux de la jeune enfant se remplirent de larmes. Elle s'approcha au plus près de lui, et lui prit la main.

▬ Je suis là maintenant. Je vais t'aider.
Puis elle se ravisa...

▬ Enfin, si c'est ce que tu veux... balbutia-t-elle.Si tu m'entends Konstantin, serre ma main. Serre ma main et j'irais chercher de l'aide... Sinon, je resterais là... pour toi. Promis.
Elle déposa un baiser sur ses lèvres brûlantes, geste qu'elle ne comprennait pas elle-même ; parce qu'elle savait. Pour lui et Vladimir. Elle l'avait très vite deviné même. Pourtant, elle n'avait pu empêcher ce geste. Après tout, ils fonctionnaient en trio...

Alors c'était ça, être mort ? Pas de tunnel avec une lumière au bout, pas de barque de Charon, pas d'anges en jupette blanche pour lui souhaiter la bienvenue de l'autre côté. Il n'y avait rien, rien d'autre que le noir complet. Quelque chose ne tournait pas rond. Évidemment, comme tout humain qui se respecte, il ne savait rien de l'aù-delà et il en avait même peur, mais quelque chose au fond de lui lui disait que ça ne devrait pas se passer comme ça. Après tout, s'il était mort, pourquoi pensait-il ? D'ailleurs, comment pouvait-il penser ? Un sentiment de malaise et de frustration s'empara alors de lui, le même sentiment que l'on ressent par exemple lorsqu'on passe un appel important et que l'on vous met en attente. Bienvenue sur le répondeur du Paradis, Konstantin, nous ne sommes pas disponible pour le moment, laissez un message après le bip.

Il n'y eut pas de bip. Seulement le hurlement rauque et désespéré de son chien Nox, qui s'était couché au pied du fauteuil où gisait son maître inconscient. Il sembla au vieux détective que l'obscurité oppressante dans laquelle il était coincé se mettait à tournoyer, et ça lui donnait envie de vomir. Qu'est-ce que c'est que ce bordel ?! Pourquoi je peux pas bouger ? Pourquoi je suis pas mort ?! Des pas. Une porte qui claque. Une voix étouffée. Qui cela pouvait-il bien être ? Vladimir ? Saskia ? Il n'entendait pas la moitié de ce qu'elle disait.


▬ Konstantin [...] vais t'aider [...] serre ma main [...] resterai là [...] Promis.

Jona. Il en était certain, c'était elle. Mais qu'est-ce qu'elle foutait là... Il sentit quelque chose effleurer ses lèvres. Que faire. S'il restait dans cette obscurité, allait-il finir par mourir pour de bon ? Au bout de combien de temps ? Et Jona allait-elle l'en empêcher ?... "Je vais t'aider." Si seulement tu pouvait... Il repensa à toutes les personnes qu'il avait rencontrées, qui lui avaient apporté des choses qui l'avaient maintes fois retenu, des choses qu'il n'avait pas forcément méritées... Mais ces gens avaient été là pour lui. John, Vladimir, Saskia, Jona... Et puis Elle. Elle, qui était partie si tôt, qu'il n'avait pu retenir. C'était de sa faute, tout était de sa faute. Il se haïssait tellement... S'il mourait, allait-il la retrouver quelque part ? Ou allait-il tout perdre...

Désolé, Clarice.

Sa main serra de toutes ses forces celle de Jona, et il vit l'obscurité se dissoudre peu à peu en une lumière beaucoup trop éclatante qui lui vrilla les pupilles. Il s'effondra sur le parquet de la chambre, tremblant et trempé de sueur. Il avait l'impression que sa tête pesait une tonne, son cœur battait beaucoup plus vite qu'il ne devrait, et la pièce tournoyait dangereusement devant ses yeux.
Oh Gott... J'aurais mieux fait d'être mort.

Konstantin serra de toutes ses forces la main de la gamine rousse qui, -surprise- laissa échapper d'entre ses lèvres un petit cri de stupeur. Elle n'eut cependant pas le temps d'avoir véritablement mal ; très vite la poigne de l'allemand se fit moindre, puis inexistante. Et Jona assista, impuissante, à la chute de son ami. Celui-ci ne payait pas de mine : tremblant et trempé de sueur, il était au plus mal. Jona se jeta près de lui.

▬ KONSTANTIN !
La jeune femme souleva la tête du second personnage et l'installa tant bien que mal sur ses cuisses. Elle se sentait bien inutile du haut de ses vingt-et-un ans dans une pareille situation. Une de ses larmes vint terminer sa course sur la joue de Konstantin. Elle l'essuya à l'aide de son pouce, et tenta en vain de ravaler les suivantes. Il lui avait demandé de l'aider en lui vrillant les phalanges tout à l'heure, et c'est ce qu'elle se préparait à faire. Le sauver. Mais comment ? ... Un nom seulement lui vint immédiatement à l'esprit.

▬ VLADIMIR...
Son appel se brisa en un sanglot. C'était simplement inutile. Le russe fleurtait avec le coma éthylique dans la chambre voisine : il ne viendrait pas.
Mais son appel au secours n'était pas passé inaperçu dans le couloir nord. Et bientôt, la petite pièce se remplit d'hommes et de femmes que Jona Lune n'avait fait que croiser jusqu'alors dans le labyrinthe qu'était Blockhurst. On lui prit l'allemand et ça, malgré ses protestations.



[ Quelques heures plus tard. ]


Accoudée à la fenêtre, Jona porta à sa bouche la cigarette qu'elle avait dérobé à Konstantin alors qu'il dormait, et tira dessus. Elle grimaça. Comment pouvait-il fumer ces horreurs à longueur de temps ? Elle sourit, mais n'arrêta pas pour autant et crachait maintenant régulièrement la fumée grisâtre. Cette première clope avait un arrière goût amer. Ils avaient bien failli le perdre cette nuit. Et elle se détestait à présent de ne pas avoir su mieux réagir au coeur même de l'action. Chienne de vie. Elle soupira pour elle-même.
Cela faisait quelques heures déjà que le personnel médical de Blockhurst avait ramené Konstantin dans sa chambre et qu'il dormait. Le soleil était déjà haut dans le ciel ; il devait être aux alentours de midi, un peu plus peut-être. Jona l'avait veillé tout ce temps et, même s'il était sauvé, se refusait toujours l'idée de quitter son chevet. Elle fumait.

Konstantin ouvrit les yeux avec difficulté. Il lui fallut quelques minutes avant de réaliser où il se trouvait et se rappeler de ce qui s'était passé. Comment diable avait-il atterri sur son lit ? Il supposa que Jona n'était pas restée les bras croisés et avait appelé à l'aide. Il n'arrivait pas à déterminer s'il lui en était reconnaissant ou pas, d'ailleurs. Il ne savait même pas s'il était content d'être encore en vie...
Il se redressa non sans mal, il lui semblait que son corps entier était devenu douloureux. Ses yeux se posèrent sur son bras gauche. Sa manche était relevée, et un cathéter encore enfoncé dans l'une de ses veines témoignait de l'intervention des infirmiers du château. Pourquoi ne lui avaient-ils pas encore retiré cette saleté... Ce fut à peu près à ce moment là qu'il remarqua que Jona était toujours dans la pièce. Accoudée sur le rebord de la fenêtre, elle lui tournait le dos et fumait une black devil qu'elle avait certainement du lui piquer pendant qu'il était dans le cirage. Elle semblait absorbée dans ses réflexions, il préféra ne pas la déranger. La nuit n'avait pas du être de tout repos pour elle, la pauvre...
L'allemand se leva en chancelant et se dirigea vers la salle de bain, dans laquelle il s'enferma avant de se glisser dans la douche. Oh Gott, ce que ça fait du bien... Une bonne douche, c'est plus efficace que toutes leurs saletés de médocs. Mais malgré ça, il était toujours nerveux. N'aurait-il pas mieux fait de disparaître pour de bon... Après tout, il n'aurait foncièrement manqué à personne. Et il n'aurait plus à vivre cette situation dans laquelle il se trouvait, et encore moins à se rappeler tout ce qui lui était arrivé. Oui, il aurait mieux fait de réussir son coup, cette nuit... Avec un soupir las, il arrêta les robinets de la douche et entreprit de se rhabiller. Son regard croisa son reflet dans le miroir. Il eut envie d'éclater de rire tant il avait l'air pitoyable, avec son teint de papier mâché, sa barbe de trois jour et son expression sinistre. Un vrai mort-vivant. Beaucoup plus vivant que mort, malheureusement...
Dans la pièce d'à côté, Jona n'avait pas bougé d'un pouce. Il espérait ne pas lui avoir fait trop de mal, elle ne méritait pas ça. Elle était beaucoup trop gentille avec lui, beaucoup trop...


▬ Depuis quand tu fumes, toi ?

Lâcha le détective avec un sourire en coin, en refermant la porte de la salle de bain derrière lui. Il passa devant elle et vint se planter devant son armoire à la recherche d'une chemise propre à mettre. Il en attrapa une au hasard, noire, puis alla se rasseoir sur son lit. Il détestait se sentir coupable, et encore plus être redevable envers quelqu'un. Mais c'était de sa faute aussi, elle ne pouvait pas le laisser se suicider tranquille, non ?! Non. Verdammt.

Une porte qu'on vérouille. Elle se retourna ; Konstantin avait arraché le cathéter qui l'alimentait en médicaments intraveineux planté jusqu'alors dans son avant-bras gauche et s'était enfermé dans la salle d'eau de la petite chambre. Jona écrasa sa clope sur le rebord de la fenêtre, puis la jeta dans le cendrier posé sur le bureau de l'allemand. * Ce con est en vie, c'est déjà ça. * pensa-t-elle. L'idée de l'étrangler de ses propres mains après ses exploits de la nuit dernière lui traversa l'esprit. Elle sourit tristement.
Déjà l'eau ne coulait plus à côté. Il avait terminé et sortirait dans la chambre d'une minute à l'autre. Jona redoutait cette confrontation, qu'allaient-ils pouvoir se dire ? Se contenteraient-ils de se regarder dans le blanc des yeux sans un mot ? Elle ne supportait pas cette idée. Cette nuit, elle avait failli perdre celui qui l'avait accueilli à Brockhurst il y plusieurs mois de ça, et était resté à ses côtés tout ce temps. Cet homme, si cher à ses yeux, avait embrassé la mort de son propre chef et s'était ensuite battu de toutes ses forces de longues heures durant pour échapper à ses griffes. Ses sentiments se mélèrent aux tremblements, conséquence physique de cette dernière nuit blanche. Elle ravala les larmes qui menacaient de perler au coin de son oeil.
Elle déroba une seconde cigarette à son ami et la fuma ; elle commençait à se faire ce petit goût chocolaté. Le verrou de la salle de bain céda. Konstantin apparut, enfin.


▬ Depuis quand tu fumes, toi ?

Il avait dit ça sans même la regarder, puis avait traversé la petite chambre pour fouiller à l'intérieur de son imposante armoire en bois peint. Il en sortit une chemise toute simple noire, et vint s'asseoir sur son lit - sûrement pour être plus à l'aise pour l'enfiler. Ni une ni deux, la jeune femme se jeta dans ses bras -les faisant basculer en arrière par la même occasion- et le serra du mieux qu'elle le put. A ce moment précis, peu lui importait que l'allemand ait horreur de ça. Il était en vie, et plus -rien- d'autre ne comptait...
Jona Lune profita de la surprise engendrée par cette preuve d'affection démesurée pour glisser quelques baisers sur la joue de Konstantin. La jolie rousse avait abandonné l'idée de retenir ses larmes, celles-là mêmes qui se mélaient à présent à ses rires.


▬ T'es vraiment qu'un con.
Elle rit.

Konstantin n'eut même pas le temps d'enfiler sa chemise que la jeune femme se jeta littéralement sur lui. Ils basculèrent sur le lit, qui émit alors un grincement sinistre.


▬ T'es vraiment qu'un con.

Dit-elle en déposant un baiser sur sa joue mal rasée. Il la dévisagea durant quelques minutes sans rien dire. Elle pleurait et riait en même temps, et ses mains tremblaient. Elle semblait dans un état de nervosité assez avancé, ce qui n'avait rien de bien étonnant si elle avait passé la nuit debout à attendre de savoir s'il était mort ou pas. Le détective, qui n'était pas habitué à des démonstrations d'affection aussi... démonstratives, ne savait pas vraiment comment réagir. Il avait même presque peur. Surtout si on prenait en compte le fait qu'il était à moitié nu – chose dont Jona, elle, ne semblait apparemment pas se formaliser.


▬ Je sais. On me le dit souvent.

Finit-il par répondre avec un sourire évasif. Avec toute la délicatesse dont il était capable – malgré le fait que la morphine et autres médicaments dont on l'avait gavé faisaient toujours effet – il essuya du bout des doigts les joues trempées de larmes de son amie. Il s'en voulait un peu, au fond. Beaucoup, même. Elle ne méritait vraiment pas qu'il la maltraite ainsi, mais c'était plus fort que lui, quoi qu'il fasse ou ne fasse pas, il finissait toujours pas blesser les gens qui tenaient un tant soit peu à lui.
Il laissa échapper un soupir à peine audible, puis se redressa et attrapa doucement la jeune femme par les poignets pour se dégager de son étreinte. Ça commençait à devenir un peu gênant, là... A présent qu'il était libre de ses mouvements, il entreprit enfin d'enfiler sa chemise et la boutonna minutieusement, laissant seulement les deux derniers boutons défaits. Puis il se leva et alla piocher dans le paquet de black devil qui était resté posé près de la fenêtre.


▬ Je vais me dépêcher d'en fumer une, avant que tu ne finisses le paquet...

Murmura-t-il avec un sourire espiègle, tandis qu'il s'asseyait sur le bord de son bureau et allumait sa cigarette.

L'allemand attrapa délicatement les poignets de la jeune scandinave et la repoussa gentiment afin de terminer de boutonner sa chemise jusque là ouverte. Jona Lune qui n'avait montré aucune résistance, observait maintenant Konstantin dans son ouvrage. Le dernier bouton passé, il alla chercher une cigarette dans le paquet dans lequel elle avait piqué toute la matinée. Son visage qui ne trahissait habituellement aucune émotion était profondément marqué par les évènements de la veille et ses mains tremblaient ; une lueur d'espièglerie subsistait cependant au fond de ses yeux...

▬ Je vais me dépêcher d'en fumer une, avant que tu ne finisses le paquet...
Jona sourit. Il était de nouveau bel et bien parmi les vivants. La jeune se leva à son tour pour prendre une cigarette qu'elle alluma à l'aide de celle de l'allemand. * Il ne faudrait pas que ça devienne une habitude... * songea-t-elle.* Oh, et puis mince : je fais bien ce que je veux ! *. Elle haussa les épaules, puis porta la clope parfumée au chocolat à ses lèvres. * Guð... *
Ils fumèrent en silence, se jetant un regard de temps à autre. La question fatidique "Pourquoi ?" brûlaient les lèvres de la rousse ; mais elle s'interdisait de la lui poser. Bientôt pourtant, l'envie se fit telle, qu'elle se surprit à taper frénétiquement du pied. Etait-ce la nicotine qui permettait que cette seule question l'énerve à ce point ? Elle secoua la tête comme pour chasser toutes ces questions inutiles et vaines de son esprit fatigué. Elle écrasa sa clope et la jeta dans le petit cendrier sur le bureau. Lorsqu'elle releva la tête et croisa son reflet dans le miroir sur le mur opposé, ce fut le déclic.
Machinalement, elle retira son collier - un fin cordon de cuir auquel était suspendu un coquillage de son île natale - et attrapa le poignet de Konstantin, lequel elle décora de son bijou.

▬ On va jouer à un jeu, d'accord ? Chacun notre tour, on portera ce bijou qui nous donnera alors le droit de poser une question à l'autre. On le garde le temps qu'il nous faut pour trouver une question qui nous tienne vraiment à coeur. Oh, et une dernière chose : tu n'es pas obligé de le porter au poignet !
Elle avait déblatéré tout ça avec un débit impressionnant. Enfin, elle se laissa retomber sur le lit. A bout de souffle. Affalée et embarassée comme elle ne l'avait jamais été, Jona attendait une quelconque réaction de la part de l'allemand.
Celle-ci tardait, si bien que la gamine songea un instant à fuir cette réalité devenue trop pesante pour les deux personnages... Finalement, elle balanca :

▬ Tu as encore besoin de repos, je vais m'en aller.
Elle s'assit sur les draps.